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Agroécologie : tout le monde à bord !

Transformer les systèmes agricoles pour aller vers l’agroécologie n’est pas négociable : le constat est partagé par les participants à nos 18es rencontres Agrodistribution. Si l’objectif est clair, le chemin est long, avec de nombreux freins à lever, chez les agriculteurs, mais aussi chez les TC et dans les entreprises. Pendant trois heures, les onze experts présents ont planché sur la massification des pratiques agroécologiques, avec en ligne de mire l’ambition d’embarquer tout le monde.

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Aujourd’hui, l’agroécologie s’affiche partout : sur les emballages alimentaires dans les grandes surfaces, dans les médias, ou encore dans les décrets paraissant au Journal officiel. Sur le terrain, c’est aussi une réalité, même si l’agroécologie, sur l’idée d’un modèle global, n’est pas encore le modèle majoritaire dans les campagnes.

Pour ses 18es rencontres, Agrodistribution a réuni, le 30 mai 2024, un panel de onze experts pour échanger sur son développement à grande échelle. Six d’entre eux sont issus de coopératives ou négoces agricoles : Christophe Bessard du groupe Bernard, Marion Danès de Maïsadour, Eric Leseur de Soufflet agriculture, Thomas Perrier d’Océalia, François-Xavier Renault de NatUp et Claire Zwilling Crécy de Valfrance. À leurs côtés, nous avions convié Alain Baraton, fondateur associé du cabinet Réseau Motival et consultant-formateur auprès des technico-commerciaux et aussi des conseillers du monde agricole, Laurent Devochelle, conseiller de chambre d’agriculture (Geda Artois) et agriculteur, Astrid Cassaz, conseillère agronome indépendante, Matthieu Archambeaud d’Icosystème et Franck Boissinot de Biosphères. Ces deux dernières entreprises proposant un accompagnement et des formations sur l’agroécologie.

Trois défis à relever

Tous sont convaincus que la transition vers ce modèle n’est pas une option. « Aujourd’hui, on est obligé d’aller vers l’agroécologie, analyse François-Xavier Renault, référent technique et animateur de groupes d’agriculteurs ExploR chez NatUp. Il y a une demande sociétale, on ne pourra pas passer à côté. » « N’importe comment, on n’a pas le choix, c’est clair », abonde Eric Leseur, agent relation culture et référent technique ACS (agriculture de conservation des sols) chez Soufflet agriculture.

Produire « agroécologique » apporte une réponse aux demandes de l’aval, mais c’est aussi une solution dans certaines zones de production pour sécuriser, voir déplafonner les rendements. Claire Zwilling Crécy, responsable développement stratégique chez Valfrance, liste trois défis à relever. « Premièrement, répondre à très court terme aux problématiques rencontrées par les agriculteurs qui sont dans une impasse agronomique, qui n’arrivent plus à produire avec des rendements adaptés à leur géographie. » Deuxième point : « Répondre aux demandes des agriculteurs qui veulent anticiper des problématiques à venir mais qui ne savent pas comment adapter leur système. Il faut les accompagner dans leur transition. Autour de la table, on a vraiment un rôle à jouer : je pense que nous sommes les bons interlocuteurs pour les aider. »

Un levier face au climat

Quant au troisième défi, peut-être le plus difficile selon elle, « c’est de faire prendre conscience aux agriculteurs et aux entreprises du secteur agricole, qui ne sont pour le moment pas confrontés aux conséquences du dérèglement climatique, des limites de leur modèle et de la nécessité urgente de remettre en question leur système pour des raisons de résilience et de pérennité ». Christophe Bessard, responsable du service agronomie du groupe Bernard, met aussi en avant « l’intérêt de l’agroécologie pour répondre aux enjeux environnementaux et climatiques ». Pour sa part, Franck Boissinot, directeur général de Biosphères, tient à souligner que « l’on a des limites planétaires : qu’on le veuille ou non, il va falloir y venir ».

Un passage obligé pour les producteurs, mais quid de la distribution agricole ? « L’intérêt est d’abord pour les agriculteurs, recentre Alain Baraton, avant les coopératives et les négoces. » Et les unes comme les autres ne peuvent « pas passer à côté du destin de leurs adhérents ou clients ». Même analyse d’Astrid Cassaz pour qui les entreprises risquent sinon de disparaître car « elles ne répondront plus aux attentes de leurs agriculteurs », laissant la place à d’autres : « C’est la loi du marché. Soit vous prenez le train en marche, soit vous ne le prenez pas. »

Un sondage surprenant

Justement, comment est appréhendé cet enjeu de l’agroécologie par les agriculteurs ? Un sondage Agrodistribution-ADquation réalisé auprès de 400 exploitants apporte quelques réponses (lire l’infographie ci-contre) qui semblent plutôt surprenantes et en décalage par rapport au terrain, de l’avis des participants à nos rencontres. Ainsi, 89 % des répondants estiment mettre déjà en œuvre des pratiques agroécologiques (un rappel de la définition de l’agroécologie ayant été fait avant de poser la question). L’agroécologie serait-elle alors installée dans les campagnes ? Rien n’est moins sûr pour nos participants qui pointent une notion mal interprétée. Pour Matthieu Archambeaud, « la notion d’agroécologie est devenue un fourre-tout, un terme générique intégrant de la technique agricole, de l’aménagement paysager, des pratiques, de la politique… ». Une réflexion partagée autour de la table. Très usité, le terme finit par être galvaudé.

« Tout le monde parle d’agroécologie ; aussi, ils ne vont pas répondre non », continue le fondateur d’Icosystème. Et comme l’avance Claire Zwilling Crécy, « l’image de l’agriculture de l’Hexagone, perçue comme particulièrement vertueuse au niveau international, a pu jouer dans les réponses ». De son côté, Christophe Bessard souligne également le manque de définition claire faisant qu’aujourd’hui, « tout le monde fait de l’agroécologie. Je mets un bout de haie, je fais de l’agroécologie ; j’utilise un biocontrôle, je fais de l’agroécologie… Mais ce n’est pas une démarche globale ! » C’est là le nœud du problème pour les participants : les résultats tendent à faire penser que les agriculteurs voient l’agroécologie comme une somme de pratiques, et non comme un changement de logiciel. Les 30 % de sondés (graphe 3) qui placent, en réponse spontanée, la réduction d’intrants comme première pratique agroécologique mise en œuvre font dire à Claire Zwilling Crécy qu’un « exploitant qui indique comme premier levier la réduction d’intrants, est un agriculteur qui ne pratique pas, à mon sens, de l’agroécologie ». La formulation de la question, anglée sur le choix d’une pratique, peut toutefois apporter un biais, selon les intervenants. L’agroécologie est en effet, avant tout, une démarche globale.

Convertir au-delà des pionniers

Ces constats faits, comment avancer ? Car si tous les intervenants de cette table ronde reconnaissent l’engagement d’agriculteurs pionniers, des « locomotives », la majorité reste à convertir. D’autant que l’agroécologie est parfois plus vue comme une contrainte réglementaire que comme une opportunité. « Il faut des pionniers, des leaders, des agri-stars en quelque sorte, chez lesquels cela fonctionne et dont on se moque un peu au début, avant de se dire, « finalement sa ferme, elle tourne bien, je vais peut-être m’y mettre ». Mais ce n’est pas suffisant pour changer d’échelle », observe-t-elle. L’ensemble des participants s’accordent sur l’importance de former producteurs et équipes terrain. « L’accompagnement est très important, avec des formations, parce que l’on voit que les agriculteurs ou même les conseillers ont parfois une certaine image de ce qu’est l’agroécologie », fait part Marion Danès, référente agriculture régénératrice chez Maïsadour. Le rôle des TC est notamment essentiel : les convaincus entraînent les exploitants.

« Tant que l’on n’aura pas embarqué plus de 50 % des technicos, de coopératives comme de négoces, sans oublier les conseillers des chambres d’agriculture, je suis persuadé que l’on ne pourra pas emmener plus de 50 % des agriculteurs », analyse Alain Baraton, rappelant « l’importance du mimétisme et de la contagion dans le monde agricole ». Et pour embarquer les TC, il faut que leur coopérative ou négoce soit convaincu, et mette en œuvre les moyens nécessaires. Incompatible avec un modèle basé sur la vente d’intrants ? « L’idée de dire « peut-on envisager un modèle économique pour une entreprise accompagnant vers l’agroécologie ? » finit par m’agacer : bien évidemment que oui, l’on peut, car c’est de toute façon le devenir de l’agriculteur », poursuit-il.

Écouter l’aval et se faire écouter

Côté aval, les industriels se lancent, notamment dans le cadre de plans d’action climat. S’ils sont considérés comme un moteur de la transition, les intervenants pointent la nécessité de bien échanger en amont sur les indicateurs des cahiers des charges. Matthieu Archambeaud souligne que les pas de temps de chaque maillon n’étant pas les mêmes, il est essentiel d’échanger pour se réaligner, sinon « c’est cacophonique ».

« Les demandes de l’aval vont nécessiter pour nos structures de mettre en place des actions pour faire en sorte que la production soit en phase avec leurs attentes », résume Eric Leseur. Un « point positif », sous réserve d’avoir son mot à dire pour que les attendus soient réalisables. Même son de cloche chez Christophe Bessard : « Une filière, qu’elle soit agroécologique ou autre, fonctionne si tous les échelons sont gagnants. Il faut que l’on soit à l’écoute des agro-industriels, mais que ceux-ci le soient aussi à la nôtre. On doit échanger pour que tout le monde s’y retrouve demain. Avec en première ligne les agriculteurs. S’ils ne sont pas gagnants, on aura beau former des équipes, finaliser des cahiers des charges, l’agroécologie ne décollera pas. »

Travailler ensemble

Les défis sont de taille, mais les participants sont prêts à les relever. « C’est un sujet complexe mais passionnant car ces évolutions nous placent, peu importe la structure, dans un rôle de partenaire, et non de fournisseur ou de client, que ce soit vis-à-vis de l’aval ou de nos agriculteurs. Humainement, c’est très enrichissant », relève Thomas Perrier, coordinateur filières et transition agroécologique chez Océalia. Et comme le dit Matthieu Archambeaud : « on est tous dans le même bateau, il faut travailler ensemble ». Astrid Cassaz est du même avis : « Ensemble on va plus loin. Et la concurrence n’a jamais d’effet négatif, elle permet d’aller plus vite et d’être plus efficace. »

Efficaces, les intervenants l’ont été, en analysant et débattant sur ce vaste sujet qu’est le déploiement de l’agroécologie dont Agrodistribution fait la synthèse. Et au-delà de ces acteurs présents à notre table ronde, d’autres s’investissent aussi, notamment dans des dynamiques collectives, (lire dernière partie du dossier) pour répondre à cet enjeu de déploiement.

Retrouvez le témoignage de Franck Boissinot, directeur général de Biosphères, dans notre Grand Format.

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